Détention de Nicolas Sarkozy : pourquoi la décision du Conseil constitutionnel n’aurait rien changé - Les Surligneurs
Source :Pascal Praud, CNews/Europe 1, le 8 décembre 2025 Etiqe :Pas de changement Contenu : La semaine commence fort sur le plateau de CNews. Dans son éditorial , ce 8 décembre, Pascal Praud rebondit sur une décision du Conseil constitutionnel rendue trois jours plus tôt. Les Sages y rappellent que l’exécution provisoire est conforme à la Constitution, à condition d’être motivée et prononcée au terme d’un débat contradictoire.
Il établit aussitôt un parallèle avec l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, emprisonné vingt jours à la prison de la Santé après sa condamnation en première instance dans l’ affaire du financement libyen ( lire notre dossier ).
« Le Conseil constitutionnel nous dit que s’il avait rendu sa décision avant le 25 septembre, Nicolas Sarkozy n’aurait jamais passé trois semaines en prison. Le jugement serait nul sur ce point, il n’aurait pas respecté la procédure. Convenons que c’est ennuyeux », s’étonne le présentateur.
Cette décision des Sages avait déjà été surinterprétée par L’Opinion , qui y voyait une « victoire posthume » pour Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Problème : le journal comme l’éditorialiste fondent leur démonstration sur une confusion.
La décision du Conseil constitutionnel a été rendue sur un article qui fonde l’exécution provisoire… mais de certaines peines seulement. En l’occurrence, l’incarcération de Nicolas Sarkozy est fondée sur un autre article. Autrement dit, elle ne change strictement rien à sa situation et n’y aurait rien changé, même si son jugement avait été rendu après la décision.
Un emprisonnement sur un autre fondement juridique
La décision du Conseil constitutionnel du 5 décembre dernier portait sur l’exécution provisoire prévue à l’alinéa 4 de l’article 471 du code de procédure pénale. C’est sur cet article précis que le Conseil s’est penché et a émis sa réserve.
Or, cet article concerne l’exécution provisoire des peines alternatives et complémentaires (comme l’interdiction professionnelle ou certaines privations de droit). Rien à voir avec la peine d’emprisonnement, qui est une sanction principale.
L’incarcération de Nicolas Sarkozy repose donc sur un autre fondement. Le 25 septembre, l’ancien président a été condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement, dont une partie ferme.
Les juges ont prononcé un mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire. Pour ce faire, ils ne se sont pas appuyés sur l’article 471, mais sur l’article 464-2 du code de procédure pénale , qui permet d’ordonner qu’un prévenu soit incarcéré non pas immédiatement, mais à une date ultérieure.
Malgré le fait que Nicolas Sarkozy ait interjeté appel — un nouveau procès se tiendra du 16 mars au 3 juin 2026 — et que celui-ci est suspensif, cela n’a pas empêché son incarcération. Car, l’article en question prévoit également, dans certains cas, que ce mandat de dépôt puisse être assorti de l’exécution provisoire.
L’objectif est simple : éviter que l’appel, en principe suspensif, ne neutralise la peine. Lorsqu’une peine est assortie de l’exécution provisoire, elle s’applique donc sans attendre la décision de la cour d’appel.
C’est exactement ce qui s’est produit : Nicolas Sarkozy a été conduit à la prison de la Santé un mois après le jugement et a été incarcéré pour une vingtaine de jours jusqu’à ce que la juridiction compétente accepte sa demande de mise en liberté .
Pascal Praud se trompe donc de texte. Le Conseil constitutionnel a bien rappelé que l’exécution provisoire prévue à l’alinéa 4 de l’article 471 doit être motivée et prononcée à l’issue d’un débat contradictoire.
Mais cette décision ne concerne que les peines visées par cet article, pas l’exécution provisoire attachée au mandat de dépôt dont Nicolas Sarkozy a fait l’objet. Les deux mécanismes produisent des effets proches, mais leur base légale est différente.
Le débat contradictoire a-t-il eu lieu ?
Et l’argument selon lequel il n’y aurait pas eu de débat contradictoire à l’audience ne tient pas davantage. D’après l’article de L’Opinion , « cette exécution provisoire n’avait même pas été débattue à l’audience, empêchant la défense d’exposer ses arguments pour s’y opposer, ont martelé les avocats de Nicolas Sarkozy » . Jean-Michel Darrois, l’avocat de Nicolas Sarkozy assure aux Surligneurs qu’il n’y avait pas eu de débats « puisque le Parquet national financier n’avait pas requis de mandat de dépôt ».
Mais le jugement concernant Nicolas Sarkozy contredit cette affirmation.
Il précise expressément qu’ « au cours du débat contradictoire devant le tribunal, les prévenus ont pu faire valoir leur situation personnelle et leurs moyens de défense quant aux peines requises et encourues, ainsi qu’à leurs modes d’exécution » . Autrement dit, si l’on se fie au jugement, une discussion contradictoire s’est bien tenue et les juges ont motivé leur décision, tant sur la peine d’emprisonnement que sur l’exécution provisoire qui l’accompagnait.
Même constat dans le jugement lié à la peine de Marine Le Pen. Si, pour elle, l’article visé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 décembre est le même qui a été utilisé pour assortir sa peine d’inéligibilité d’une exécution provisoire, le jugement indique que la décision a été motivée et le débat contradictoire respecté.
On trouve pas moins de neuf pages entières sur les raisons de l’exécution provisoire, tandis qu’on retrouve les traces du débat contradictoire : « Les personnes prévenues ont pu présenter leurs moyens de défense et faire valoir leur situation » , développent les magistrats.
Bref, on ne peut que conseiller à L’Opinion et Pascal Praud de lire plus régulièrement Les Surligneurs, voire d’adhérer ou de faire un don défiscalisable , histoire que, la prochaine fois, personne ne se trompe… de texte.
Mise à jour le 8 décembre 2025 à 19:08 : ajout de la réponse de Jean-Michel Darrois.
Auteurs :
Autrice et auteur : Maylis Ygrand, journaliste
Guillaume Baticle, journaliste et doctorant en droit public, université de Poitiers
Relecteur et relectrice : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine
Etienne Merle, journaliste
Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
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