"Chuuuttt" - Jef Aérosol On nous a appris à nous méfier de la gentillesse. Dans la cour de récréation, elle est parfois confondue avec la naïveté. Dans la sphère professionnelle, elle passe pour un manque de fermeté. Et dans le management, elle se retrouve reléguée au rang des "qualités sympathiques mais inutiles". Un bon manager serait celui qui "tient sa ligne", qui "ne se laisse pas marcher dessus", qui "prend des décisions difficiles".

"Living Walls" - ERNEST ZACHAREVIC Il y a dans le geste de diviser une forme d’élégance froide. Un art subtil de couper sans bruit, de tracer des lignes invisibles entre les êtres pour que le monde paraisse plus net, plus ordonné, plus supportable.Diviser, c’est parfois comme dessiner des frontières à la craie sur un sol mouvant : on croit stabiliser, mais on sépare des battements de cœur.

PEJAC On a cru qu’être accepté signifiait s’aligner. S’aligner sur quoi, exactement ? Sur des normes invisibles, des attentes diffuses, des modèles implicites que le collectif impose, parfois sans le dire. La pression n’est plus simplement sociale, elle est existentielle : être performant devient une condition de reconnaissance, un ticket d’entrée dans l’espace public de la réussite. Dans ce jeu, la différence devient dangereuse.

"Girl with a balloon" - BANKSY L’amour et la passion traversent nos vies comme des forces irrésistibles, parfois lumineuses, parfois aveuglantes. Ils peuvent créer, transformer, mais aussi désarmer et déconstruire. La question n’est pas seulement de savoir ce qu’ils sont, mais de comprendre ce qu’ils font à notre manière d’être, de penser et d’agir. Entre désir, engagement et intensité, ces mouvements affectifs interrogent notre rapport à nous-mêmes et aux autres, mais aussi à la manière dont nous construisons notre monde.

PHLEGM Nous vivons à une époque où l’on peut se faire coacher pour tout et n’importe quoi. Pour mieux respirer, mieux marcher, mieux décider, mieux ressentir, mieux… exister. Le coaching s’est imposé comme un rituel moderne, une réponse aux anxiétés invisibles de nos sociétés, un phare dans le brouillard de l’incertitude individuelle. Mais que révèle-t-il vraiment de nous, et que reflète-t-il de notre monde ?

"Perception" - EL SEED On raconte que le calligraphe japonais, avant de tracer le premier trait, ne cherche pas la vitesse, mais l’accord. Son pinceau suspendu dans l’air devient une antenne : il écoute le monde, la respiration du papier, le souffle de son propre cœur. Il sait que le geste juste ne vient pas de la maîtrise, mais de l’alignement.

"Lidia Cao" - FINTAN MAGEE La procrastination semble souvent être un défaut, un écart face à l’efficacité attendue. Pourtant, ce retard volontaire ou involontaire n’est jamais neutre. Il révèle des tensions invisibles entre ce que l’on devrait faire, ce que l’on veut faire, et ce que l’on peut réellement faire. Entre urgence et délai, entre motivation et épuisement, le procrastinateur navigue dans ces marges floues, ces zones que l’on voudrait combler par des listes, des routines ou des deadlines, mais qui résistent toujours.

"Mural" - FELIPE PANTONE L’approche processus se présente comme un guide clair, un langage censé rendre visible et maîtrisable l’organisation. Réalisation, support, management : trois niveaux pour ordonner, cartographier, rationaliser. Et pourtant, dans cette promesse de transparence et de contrôle, il existe ce que l’on ne formalise jamais vraiment : les interstices. Ces espaces invisibles, ces lignes de fuite entre les flux, ces zones de tension où se jouent la véritable vitalité d’une organisation.

BANKSY On proclame partout l’horizontalité comme une vertu : moins de hiérarchie, plus d’autonomie, des équipes plates, des décisions partagées. Les organigrammes se délestent, les titres perdent de leur éclat, et les méthodes se parent de termes légers "responsabilisation", "empowerment", "autonomie". Pourtant, dans ces mêmes couloirs, quelque chose ne cesse de reprendre corps, sous d’autres formes, plus discrètes, plus insidieuses : l’autorité.

"Les yeux dans les yeux" - SETH On croit souvent que dominer, planifier, structurer, suffit à comprendre ce qui vit. Mais le vivant échappe, toujours, par ses marges, ses interstices, ses mouvements imprévus. Là où l’on impose, surgit l’inattendu ; là où l’on mesure, se déploie l’invisible. Il ne s’agit pas seulement d’une métaphore écologique : c’est la manière dont les systèmes humains, organisations, équipes, projets, respirent, se frottent et renaissent.

"The legend of giants" - NATALIA RAK Il y a des jours où l’on oublie que nos bureaux flottent sur une terre vivante. On parle "d’innovation" dans des bulles climatisées, on scalpe des modèles sur des tableurs, et pendant ce temps la forêt, la rivière, la pierre font leur travail : elles transforment, elles meurent, elles renaissent sans KPI ni powerpoint.

"Wynwood Walls" - PIXEL PANCHO Dans nos vies saturées de flux, de décisions et de technologies omniprésentes, la tentation d’un retour à la nature se présente comme un souffle nécessaire. Mais ce retour n’est pas qu’un simple refuge : il questionne la manière dont nous nous construisons, dont nous affrontons l’incertitude et la fragilité de nos existences. La nature, dans sa permanence et ses cycles immuables, nous expose à la robustesse : celle qui ne se mesure pas en productivité ou en contrôle, mais en capacité à durer, à résister, à s’adapter.

"Jousting Painters" - Ernest ZACHAREVIC Le pragmatisme a l’air rassurant : il promet de couper court aux grandes théories pour se concentrer sur ce qui fonctionne. Dans un monde saturé de discours, il se présente comme l’antidote aux illusions : "cela marche, donc c’est vrai". Mais cette équation, en apparence si simple, ouvre aussitôt une brèche : qu’est-ce que "marcher" ?

"Obey" - SHEPARD FAIREY Voilà l’aphorisme silencieux qui traverse les organisations modernes, sous-jacent à chaque protocole, chaque échange, chaque promesse de liberté. La confiance : mot doux, léger, souffle de sécurité et d’apaisement. Et pourtant, elle se déploie souvent comme une lame double, oscillant entre abandon et vigilance, ouverture et contrôle. Elle promet de libérer, mais elle peut tout aussi bien enfermer.

"Scratching the surface project" - VIHLS Nous vivons à l’ère de la transformation.Transformation digitale, écologique, personnelle, managériale.Chaque institution, chaque individu est sommé de "se réinventer", "d’embrasser le changement", de "muter" avec enthousiasme. La stagnation est devenue un péché, le doute une faiblesse, la mélancolie une anomalie. Nous avons fait du mouvement un dogme et du progrès un mantra. "Bouge, transforme-toi, sois agile", répète la liturgie moderne.

1010 Toute construction humaine repose sur un fondement, une origine première : ce que les Grecs nommaient arkhè. Non pas seulement le début chronologique d’une histoire, mais le principe qui rend cette histoire possible, le cadre de sens à partir duquel une pratique peut exister et se justifier.Si l’on transpose cette idée au management, une question émerge : …

"Flower Thrower" - BANKSY Il y a ces moments où la colère s’invite sans prévenir. Un mot mal choisi, un retard qui s’accumule, une injustice qui brûle dans le silence. Et soudain, tout s’éclaire et tout s’obscurcit à la fois : l’énergie se densifie, le corps s’échauffe, la voix se fait plus forte. On pourrait la fuir, la réprimer, la qualifier d’inutile.

"Space Invaders" - Marseille Nous passons nos journées à interpréter. Un silence dans une réunion, un soupir dans un couloir, un sourire esquissé… Chaque geste devient indice, chaque absence de geste devient suspecte. Nous lisons les comportements humains comme on lit un texte : parfois avec lucidité, parfois avec excès, souvent avec le risque d’y projeter nos propres fantômes. Mais qu’est-ce qu’une "grille de lecture" des comportements humains ?

"Scratching the surface" - VHILS Nous vivons dans un monde qui pense que tout se répare en retirant quelque chose.Moins de dépenses, moins d’émotions, moins de risques, moins de temps perdu, moins de complexité.Comme si le salut collectif tenait dans une grande opération de simplification morale et comptable : épurer, rationaliser, optimiser.Mais à force d’enlever, il ne reste plus grand-chose, sinon une fatigue étrange, une lassitude qui n’a pas de nom, celle d’avoir trop voulu corriger, trop voulu "faire mieux".

"L'enfant Prométhéen" - Seth Globepainter Le mot est partout. Dans les discours managériaux, sur les affiches des séminaires, dans les valeurs inscrites en lettres capitales au fronton des entreprises : bienveillance. À force de l’entendre, on ne sait plus très bien ce qu’il signifie. Est-ce une qualité éthique qui traverse les relations humaines, ou un masque poli qui cache mal les rapports de pouvoir ?

ALICE PASQUINI Nous vivons dans un monde où les histoires des autres, les blessures invisibles et les souffrances collectives semblent nous effleurer à chaque instant. Les médias, les réseaux sociaux, les échanges professionnels ou même les récits personnels deviennent des vecteurs de transmission émotionnelle. Mais que se passe-t-il lorsque cette exposition permanente ne se limite plus à l’empathie et que la douleur d’autrui commence à s’inscrire en nous ?

"Follow Your Dreams - Candelled" - BANKSY Il fut un temps où la quête du bien, selon Aristote, relevait d’un projet collectif : l’homme ne pouvait être bon que dans une cité juste, dans un État orienté vers le bien commun. Aujourd’hui, la bonté, la justesse, la réussite se sont repliées sur l’individu. On ne demande plus si l’État est bon, mais si moi je le suis.

"Beyond Walls in Okinawa" - SAYPE Nous avons cru pouvoir la sauver. Comme si la nature avait besoin de nous pour exister. Comme si, par une étrange torsion du langage, nous étions devenus ses tuteurs moraux, ses porte-paroles, voire ses gardiens éclairés.Mais la nature, elle, n’a jamais rien demandé. Elle ne nous regarde pas, ne nous juge pas, ne nous attend pas.

"Révolution" - CASE MACLAIM Dans un précédent article, nous avons interrogé la quête de sens comme moteur intime et collectif, une force capable de structurer nos existences autant que nos organisations. Mais à y regarder de plus près, une question plus dérangeante surgit : et si ce sens que nous cherchons avec tant d’ardeur n’était qu’un mirage ? Le paradoxe est cruel : plus nous cherchons du sens, plus il semble s’éloigner.