Assises. Une femme transsexuelle tue une rivale : « Je viens de crever cette pute »
La cour d’assises de Paris juge à partir d’aujourd’hui William Maurice, alias Soraya, pour le meurtre de Xavier Kelenda, dit Angie Kompressor. Le 11 août 2022, dans le XVIII e arrondissement parisien, ces prostituées transgenres ont eu une altercation et la première a poignardé la seconde. Mais Soraya assure qu’elle n’avait pas l’intention de tuer Angie.
Entrée de la salle des Assises (Photo : ©O. Dufour)
Ni les enquêteurs du 2 e district de police judiciaire ni le juge d’instruction ne sont parvenus à établir le mobile du crime perpétré à Pigalle, ce quartier « chaud » de Paris qui attire les touristes et les prostitués. Il semblerait que l’accusé William Maurice, une femme transsexuelle âgée de 28 ans qui est devenue Soraya, ait juste souhaité récupérer un bout de trottoir, boulevard de Clichy. Jeudi 11 août 2022, à 2 heures, s’y trouvait une rivale transgenre, Xavier Kelenda dite Angie Kompressor. Avec son ami Chico, perdu de vue depuis des années, Angie venait de fêter leurs retrouvailles au bar « Les Noctambules » et ne comptait pas vendre ses charmes. Une méprise serait à l’origine du drame que vont étudier durant trois jours les magistrats et jurés de la cour d’assises de Paris.
Soraya Maurice, une Martiniquaise sans profession, séropositive et addict au crack, encourt 30 ans de réclusion criminelle. Toutefois, sa défense veut plaider les « coups mortels ». Les débats ne porteront que sur ce point, la mise en examen pour « meurtre » ne contestant que l’intention homicide, comme elle l’a déjà affirmé devant la chambre de l’instruction. Celle-ci n’a pas fait droit à sa requête mais une requalification reste possible à l’issue de l’audience.
Elle a « les tripes qui sortent » de son ventre
Angie Kompressor et Chico ont dîné dans un kebab, et poursuivi leur belle soirée amicale aux Noctambules. À la fermeture du bar, ils discutent sur le boulevard de Clichy, à l’angle qu’il forme avec la rue Germain-Pilon. La femme transsexuelle a consommé de l’alcool, sniffé de la cocaïne, avalé des produits psychoactifs qui tranquillisent ou stimulent l’organisme. Les témoins expliqueront tous qu’Angie ne cherchait pas d’embrouille. Tous aperçoivent au contraire une femme transsexuelle agressive traverser en trombe l’avenue et se précipiter sur Angie. « Tiens, voilà cette folle », se dit Achraf qui va au bureau de tabac. « Je dis ça parce qu’elle crie beaucoup, qu’elle fait du bruit et dit fort qu’elle est fière d’être trav », expliquera-t-il aux policiers.
Achraf, Chico, Hassan et Djakaridja rapportent « une brève altercation », des « insultes » – « je vais niquer ta mère », « tu fais même pas un euro par jour », – puis l’agresseur, « une femme travestie de type africain », qui fuit quand Angie Kompressor tombe à la renverse. « Elle m’a plantée », a-t-elle le temps de murmurer à l’oreille de Chico. Lequel alerte les secours. L’état de la victime est alarmant : elle a « les tripes qui sortent » de son ventre. À 5h06, le chirurgien de l’hôpital Lariboisière prononce le décès d’Angie. La lame pointue de huit centimètres, retrouvée dans un buisson, a « traversé l’abdomen » puis « atteint l’estomac et un rein ».
Soraya Maurice s’est volatilisée sur une trottinette et a fini par sauter dans un taxi.
L’excellent réflexe de deux témoins
Hassan et Djakaridja ont assisté à l’algarade « de deux à trois minutes » et ont remarqué que l’attaquante avait jeté sa flasque de rhum et son couteau dans les buissons du terre-plein central. Ils l’ont entendue dire à plusieurs reprises : « Je viens de crever cette pute ». Ils engagent des recherches dans les massifs, retrouvent les deux objets porteurs de l’ADN du criminel, les remettent aux enquêteurs. Cet excellent réflexe permet d’identifier Soraya, aussi confondue par la vidéosurveillance et la reconnaissance sur planche photographique.
Soraya Maurice est arrêtée le 13 septembre 2022, moins d’un mois après le drame. En garde à vue, elle nie être liée à cette agression, et se répand plus volontiers sur sa transsexualité, sa vie de prostituée, sa consommation de crack « depuis neuf mois » et son goût pour « l’alcool fort ». Devant le juge, lors de l’interrogatoire de première comparution, elle maintient sa version et ne craquera qu’une fois en détention. Le 13 janvier 2023, elle avoue avoir pris « beaucoup de crack » durant la journée et la soirée, du vin mousseux, « une plaquette de Valium » pour contrecarrer les effets de la descente.
Après « une passe », elle a acheté sa flasque de rhum et s’est disputée avec une femme « qui avait le dessus, qui était assez forte ». Soraya mesure 1,70 mètre et pèse 60 kilos ; Angie affiche 1,85 mètre et 101 kilos. « J’ai eu peur. J’ai sorti mon couteau pour la faire reculer (…) J’ai fait un mouvement, elle a avancé au même moment. J’ai vu qu’elle ne se sentait pas bien et j’ai fui. » La prostituée s’est sentie « dépitée », néanmoins « rassurée » de voir Angie Kompressor « entourée. Je suis allée m’assoir sur un banc, j’ai vu un mec, je crois que j’ai dit : “Je l’ai crevée, cette pute”. Après, je suis en état de choc, je pars en voiture ».
Soraya se fait déposer Porte de la Chapelle : « J’ai continué à me droguer. »
William devient Soraya à 10 ans, se prostitue à 13
En décembre, la mise en cause est entendue une dernière fois par le juge : « Je n’ai pas voulu lui porter de coup de couteau. J’ai juste voulu l’effrayer en mimant le geste », confie-t-elle. Soraya impute l’altercation à Angie, qui « m’a porté des coups de poing au visage et à la tête ». Aucun des témoins ne corrobore ses déclarations, ni la reconstitution en présence du légiste : il exclut que la victime « se soit empalée sur la lame » et ait pris part à une bagarre, ses mains ne présentant pas de lésions.
Depuis le crime, Soraya Maurice est en détention préventive. En août 2024, ses deux avocates ont demandé une requalification de l’infraction, en vain. En prison, l’accusé a été vue par une enquêtrice de personnalité à qui elle a raconté sa misérable existence : parents alcooliques, drogués, violences, y compris dans les foyers où le jeune William a été placé, sa transition en Soraya à 10 ans, un proxénète qui la jette à la rue trois ans plus tard.
S’ensuivent une contamination par le VIH, la séropositivité, la dépendance à la cocaïne, l’arrivée en métropole, cinq condamnations pour violences, le crack et l’errance. Son incarcération ne se passe pas mieux : elle a cumulé 14 incidents et plusieurs tentatives de suicide.
La psychiatre l’estime « franchement borderline » avec « une dysphorie de genre » et « des addictions sévères ». Son pronostic est « défavorable ». La psychologue souligne « la récurrence d’épisodes dépressifs », l’instabilité et l’impulsivité du sujet, sa transsexualité apparaissant en lien avec le vécu traumatique dans la sphère familiale.
Soraya Maurice dispose de trois jours pour persuader la cour et les jurés qu’il ne s’agit que d’un fâcheux concours de circonstances.